UE, Mercosur et viande bovine : entre dope et dupes

L’Institut de l’élevage décrypte les enjeux de l’accord de libre-échange qui pourrait être conclu d’ici à la fin de l’année. Entre distorsions de concurrence et différentiels de compétitivité, la filière bovine européenne a tout à perdre, avec un bond de 25% à 50% de la part de marché des aloyaux sud-américains, dopés par un rabais tarifaire compris entre 18% et 32%. Mais au prix d’une traçabilité et d’une sécurité alimentaire suspectes.

Le Mercosur, une puissance productrice et exportatrice

Les quatre pays membres historiques du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) concentrent un quart de la production mondiale et plus d’un tiers des exportations mondiales. En 2023, le Brésil occupait le 2ème rang mondial de production de viande bovine devant les Etats-Unis, avec 9,7 millions de téc (tonnes équivalent-carcasses). L’Argentine était au 6ème rang, avec 2,8 millions de téc. Plus loin dans le classement, l’Uruguay avait produit 600.000 téc et le Paraguay 570.000 téc.

(Source : Institut de l’élevage)
(Source : Institut de l’élevage)

En 2023, le Brésil était le 1er exportateur mondial de viande bovine avec 2,7 millions de téc, l’Argentine 5ème (890.000 téc), l’Uruguay 9ème (460.000 téc) et le Paraguay 10ème (420.000 téc).

L’UE, petit client d’un Mercosur gros fournisseur

En 2023, l’UE a importé 195.000 téc en provenance d’Argentine, du Brésil, du Paraguay et d’Uruguay, équivalant à 4,3% des exportations de la zone, très loin derrière la Chine à 57%. Mais le Mercosur représentait près de 58% des importations européennes, soit 195.000 téc, devant le Royaume-Uni (29% à 99.000 téc) et les Etats-Unis (5% à 18.000 téc).

(Source : Institut de l’élevage)
(Source : Institut de l’élevage)

Plusieurs contingents à droit de douane nul ou réduit sont déjà en place dont les contingents de type « Hilton » avec un droit de douane de 20% ou le contingent « viande bovine de haute qualité » ouvert seulement à l’Argentine et à l’Uruguay.

(Source : Institut de l’élevage)
(Source : Institut de l’élevage)

Selon l’Institut de l’élevage, entre 2018 et 2021, un peu moins de trois quarts de la viande bovine non transformée importée en UE l’a été a droit réduit. Ainsi, un peu plus d’un quart des viandes étaient entrées à droit de douane plein, proche de 12,8% de la valeur du produit + 3 €/kg, soulignant la compétitivité en prix de la viande bovine originaire du Mercosur.

Les concessions supplémentaires prévues dans l’accord

Le projet d’accord de libre-échange prévoit de nouvelles concessions européennes avec l’ouverture progressive de 99 000 téc de nouveau contingent (dont 45% de congelé et 55% de réfrigéré) à 7,5% de droit de douane et la suppression immédiate des 20% de droit de douane des contingents Hilton. Pour les produits laitiers, l’UE ouvrira progressivement des contingents de 10.000 tonnes de poudres de lait, 30.000 tonnes de fromages et 5.000 tonnes de poudre de lait infantile. Les mêmes contingents seront ouverts par le Mercosur. Les périodes de mise en place des contingents prévus par l’accord sont de 5 ans en viande bovine et de 10 ans en produits laitiers.

(Source : Institut de l’élevage)
(Source : Institut de l’élevage)

Les distorsions de concurrence

Des pesticides utilisés pour la production de végétaux servant entre autres à la finition des bovins, aux antibiotiques (bacitracine, flavomycine, monensin, virgyniamicine) utilisés comme activateurs de croissance, en passant par le bien-être animal ou encore la traçabilité, les règlementations appliquées au sein du Mercosur tout au long de la chaîne de production sont le plus souvent largement moins-disantes que celles de l’UE.

(Source : Institut de l’élevage)
(Source : Institut de l’élevage)

Un des exemples emblématiques concerne la traçabilité et son lien avec la déforestation, laquelle a concerné environ un million d’hectares par an en Amazonie légale sur les cinq dernières années. Si la traçabilité bovine est relativement développée en Uruguay, elle n’est obligatoire au Brésil que dans le petit Etat de Santa Catarina, situé au sud du pays. Pour l’export vers l’UE, elle n’est exigée que dans le dernier élevage et seulement 40 jours avant abattage. L’absence de traçabilité individuelle reste un frein à des contrôles efficaces, notamment parce que les bovins transitent ente de nombreuses exploitations pendant leur élevage.

Le différentiel de compétitivité

Ces différences de règlementation, associées à des normes sociales et un coût du travail largement inférieurs à celui de l’UE accentuent le différentiel de compétitivité entre les viandes du Mercosur et les viandes européennes. Les coûts de production en élevages de bovins viande du Mercosur étaient inférieurs en moyenne de 40% à ceux des élevages européens et même de près de 60% pour les fermes brésiliennes d’après les données du réseau Agribenchmark.

Concernant l’abattage et la transformation, trois entreprises brésiliennes (JBS, Marfrig et Minerva) concentrent environ deux tiers des exportations de la zone, avec des capacités de production allant de 7000 tonnes de viande bovine par mois pour Minerva à 22.500 tonnes pour le numéro un mondial, JBS. Très compétitives, ces entreprises réalisent ainsi des économies d’échelle importantes grâce à la taille de leurs outils d’abattage sans commune mesure avec les abattoirs européens.

L’UE, une destination prisée pour les aloyaux

Aux prises à une conjoncture économique impactant la consommation des pièces nobles, le Mercosur voit dans l’Europe la destination toute trouvée pour écouler davantage d’aloyaux (filet, faux-filet, rumsteck, bavette d’aloyau et une partie des entrecôtes) à la compétitivité imbattable du fait des coûts plus faibles et des réglementations plus souples.

Selon l’Institut de l’élevage, une comparaison des prix de gros représentatif de l’aloyau dans l’UE, avec les prix des imports européens des viandes réfrigérées originaires du Mercosur incluant les droits de douane, fait ressortir un différentiel de prix compris entre 18% et 32% en faveur du Mercosur. Malgré les coûts de transport, les marges des divers opérateurs et autres frais, l’aloyau du Mercosur demeure compétitif, sans compter la réduction des droits de douane.

La communication tronquée de la Commission européenne

Dans ses communications la Commission européenne a tendance à rapprocher les contingents ouverts à la production ou la consommation totale de viande bovine dans l’UE. En 2019, année d’un premier accord politique, le contingent de 99.000 téc représentait 1,2% de la consommation totale européenne de viande bovine (8 millions de tonnes par an). Un taux que l’Institut de l’élevage réévalue à 1,6% en 2024. Mais pour l’institut, cet indicateur global masque la spécificité propre au marché de l’aloyau.

(Source : Interbev)
(Source : Interbev)

Ainsi, les importations actuelles, les concessions en cours et celles à venir représentent environ 1,3 fois la production européenne d’aloyaux du cheptel de race à viande et 0,7 celui du cheptel laitier. Selon Interbev, la signature de l’accord commercial en l’état ferait bondir de 25% à 50% la part de marché de l’aloyau sud-américain en Europe.