Salers traites : faire fructifier la tradition

Tous sont passionnés de la race et du système trait, mais la tradition ne suffit pas elle doit rimer avec économie. Une double exigence qu’incarnent de jeunes producteurs fermiers.

Elles sont une cinquantaine ce samedi matin de la fin août en concours à Moussages. Une cinquantaine de vaches salers issues de huit élevages cantaliens et puydômois avec un petit truc en plus, invisible même pour l’œil d’un visiteur aguerri. Ce petit truc ? C’est une relation singulière avec leur éleveur dont elles acceptent qu’il les traie, à la condition sine qua non que leur veau amorce la traite. Une tradition ancestrale pour cette race rustique parmi les plus maternelles mais sacrifiée sur l’autel de la modernisation, des injonctions de spécialisation et productivité au profit d’autres races laitières et du rameau salers allaitant. Aujourd’hui, ils ne sont plus très nombreux, à peine une cinquantaine, à perpétuer ce système salers trait, parmi lesquels un nombre croissant de producteurs fromagers.
Un savoir-faire en héritage
Guillaume Rongier et Mathilde Bernard, locaux de l’étape moussageoise, sont de ceux-là. Installé en 2010 sur l’exploitation salers familiale, Guillaume, que sa conjointe a rejoint en 2022, a entrepris en 2019 de se lancer dans la transformation fermière, d’abord en élaborant du fromage Séverac, puis en agrandissant la famille de l’AOP Tradition salers (AOP salers exclusivement au lait de salers). Cinq à six tonnes sont ainsi fabriquées à l’année, affinées et commercialisées par l’entreprise Charrade. “Avec seulement deux UTH (unité de travail humain), malgré le coup de main précieux de mon père, traite et transformation nous prennent déjà beaucoup de temps”, argue le jeune homme, inconditionnel de la race et cheville ouvrière du concours. “Ce système de salers traite a façonné le territoire cantalien, la salers en est la race emblématique dont les fondamentaux peuvent aussi être un avantage économique. En trayant et transformant le lait, on crée encore plus de valeur ajoutée... et puis il y a la passion du geste”, confie l’éleveur. Un geste que Guillaume a appris sur le tas, gamin, en côtoyant des éleveurs “qui m’ont transmis ce savoir-faire”. Savoir-faire qu’il a appris à son tour à Mathilde, fille d’éleveurs salers finistériens rencontrée sur un concours. “Les concours, c’est notre deuxième passion, ça permet de mettre en valeur notre travail génétique sachant qu’on a la chance d’avoir repris la génétique de Gilles Besson, basée sur une souche Brousse”, relate le couple, qui, avec, Naucelle, a justement remporté le prix de championnat femelle et celui de meilleure mamelle avec Hélène. Objectif de Guillaume et Mathilde : pérenniser leur structure et transmettre à leur tour leur savoir-faire. “On n’est que de passage”, sourient-ils.
Du lait salers en laiterie : “un gâchis”
Chez les Galvaing, Martin, Louise et Pierre(1) incarnent la cinquième génération à traire des salers à Saint-Étienne-de-Chomeil (une soixantaine de vaches traites actuellement). “Mon arrière-grand-père transformait le lait de ses salers, une transformation qu’a relancée mon frère, expose Pierre Galvaing. On a tout recréé en 2019, puis construit une cave d’affinage enterrée qui permet d’affiner 250 pièces. Livrer du lait de salers à Lactalis, pour nous c’était du gâchis, notre objectif était au contraire de valoriser le lait de nos animaux.” Ces fromages Tradition salers (et fromages fermiers non AOP hors saison) sont vendus en partie à la ferme, sur les marchés estivaux et auprès d’une clientèle de restaurants et grossistes sur Paris et Lyon. Avec une demande que le Gaec peine à fournir : “En ce moment, on vend une pièce par jour aux touristes, on n’a pas assez de fromages...” Ce succès a cependant un coût : le temps de travail. Il faut compter dix heures chaque jour pour la traite et la transformation biquotidiennes. “Actuellement, les journées débutent à 5 heures pour se finir souvent à 21 heures voire au-delà, mais de novembre au début des vêlages en février, c’est plus cool et puis, à quatre sur l’exploitation, on peut se remplacer. De toute façon, pour nous, ce n’est même pas du travail mais une passion et on en est fiers”, avance le futur jeune agriculteur, tout aussi fier de présenter ses bêtes en concours, que ce soit dans les comices cantonaux ou au National de la race.
La passion... ça ne suffit pas
“La passion, c’est mignon mais s’il n’y avait pas eu de rentabilité derrière, je me serais essoufflé depuis longtemps”, a pour sa part coutume de lancer Géraud Delorme du Gaec éponyme de Joursac et président de l’association Tradition salers organisatrice du concours. Une rentabilité effective aujourd’hui et des fromages et du beurre au lait de salers qui ont acquis leur lettre de noblesse : une partie des fourmes façonnées à Clavières de Joursac se retrouve ainsi, par l’entremise du fromager-affineur Hervé Mons (Meilleur ouvrir de France) sur des tables étoilées françaises et étrangères : à Dubaï, en Israël, en Australie...

(1) Martin et Louise sont associés avec leur père ; Pierre, salarié sur l’exploitation, devrait les rejoindre courant 2025.