[Rétro 2024] En mai, la loi d’orientation agricole adoptée… pour 12 jours

Percuté par la crise agricole puis par la dissolution de l’Assemblée nationale, le projet de loi aura survécu 12 jours à son adoption à l’Assemblée nationale. En septembre, la nouvelle ministre de l’Agriculture, reconduite en décembre, reprendra le flambeau. Pour ne pas dire le lambeau.

« Ce que je veux que nous construisions ensemble dans les six prochains mois, c’est un pacte d’orientation et d’avenir pour notre agriculture, sur les sujets d’orientation, de formation, de transmission et de transition ». Face aux JA réunis à Terres de Jim le 9 septembre 2022 dans le Loiret, le président de la République lance le chantier de la future loi d’orientation et d’avenir de l’agriculture, la principale promesse du programme agricole de son second mandat, avec les investissements dans la « 3ème révolution agricole » et les plans d’autonomie alimentaire dans les territoires ultramarins. S’ensuivent des concertations nationale et régionale, ainsi qu’une consultation menée auprès de jeunes de l’enseignement agricoles, le tout destiné à rassembler force propositions et contributions.

Les manifestations du début de l’année ont fait bifurquer le projet vers la très conceptuelle souveraineté alimentaire ou, à l’inverse, les très pragmatiques conditions d’exercice du métier
Les manifestations du début de l’année ont fait bifurquer le projet vers la très conceptuelle souveraineté alimentaire ou, à l’inverse, les très pragmatiques conditions d’exercice du métier

En septembre 2023 et toujours aux Terres de Jim organisées dans le Nord, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau présente les grandes lignes ce qui s’appelle désormais le Pacte et la loi d’orientation agricole. (PLOA). Quelques mois plus tard, le gouvernement présente la copie du Pacte et loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOAA). Parmi les éléments saillants figurent la création de France services agriculture et du guichet unique installation-transmission opéré par les Chambres d’agriculture, le renforcement de la formation aux transitions climatique et écologique grâce « choc de compétence » visant 50.000 professionnels de l’enseignement, de la formation, du conseil, la création d’un Bachelor Agro, la réalisation d’un stress-test climatique pour les nouveaux installés ou encore un création d’un fonds de portage du foncier de 400 millions d’euros.

Des forces de l’ordre tentent de contenir plusieurs centaines d’agriculteurs manifestant leur colère, jour de l’inauguration présidentielle
Des forces de l’ordre tentent de contenir plusieurs centaines d’agriculteurs manifestant leur colère, jour de l’inauguration présidentielle

Mais quelques semaines plus tard, des milliers d’agriculteurs délaissent les champs pour l’asphalte et inondent nos écrans, nos radios, nos journaux, nos réseaux, dessinant le portrait d’une profession paupérisée, déclassée, déconsidérée, épiée, harcelée, alors qu’elle se démène 70 à 80 heures par semaine pour nourrir trois fois par jour 68 millions de Français, pour pas très cher et plutôt bon, pour ne pas dire pas cher du tout et très bon. La crise agricole fait bifurquer le projet de loi d’orientation vers la très conceptuelle souveraineté alimentaire ou, à l’inverse, les très pragmatiques conditions d’exercice du métier, édulcorant le plat et le plan de résistance à l’agrandissement.

« Intérêt général majeur de la Nation française »

Mais l’agriculture va monter en grade. « La protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche sont d’intérêt général majeur en tant qu’ils garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux ». Telle est l’entame du projet de loi et son article 1er qui stipule que les politiques économiques, sociales et environnementales concourent à assurer la souveraineté alimentaire et agricole de la France, c’est-à-dire à maintenir et à développer ses capacités à produire, à transformer et à distribuer les produits agricoles et alimentaires nécessaires à l’accès de l’ensemble de la population à une alimentation suffisante, saine, sûre, diversifiée, nutritive, accessible à tous, tout au long de l’année, et issue d’aliments produits de manière durable.

Oreillette, la Normande égérie du 60ème Salon de l’Agriculture, aura vu défiler casques et matraques avant de recevoir la caresse présidentielle
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Du PLOAA au PLOSARGA

Ce qui s’appelle désormais le Projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture est présenté au Conseil des ministres le 3 avril. Si le projet a suscité le rejet convenu de la Confédération paysanne et la moue de la Coordination rurale, il n’a pas non plus suscité un enthousiasme débridé de la part des syndicats majoritaires.

Le projet fait l’économie d’un acronyme (pas de PLOSARGA donc) mais pas d’une révision des sanctions pour atteinte à l’environnement, de l'accélération des contentieux liées à l’eau et à l’élevage, d’un régime réglementaire unique sur la haie, d’une évolution du statut des chiens de protection des troupeaux ou encore de la délégation d’actes de médecine et de chirurgie à des auxiliaires vétérinaires. Déjà que la nuance entre le « pacte » et la « loi » nous avait singulièrement échappé.

Un projet un peu à côté de ses bottes

Toujours rien en revanche, ou si peu, en matière d’accès ou foncier, en dehors du fonds de portage et de la création des Groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). C’est à tout le moins étonnant quand on sait que 10 millions d’hectares (un tiers de la SAU) vont changer de mains dans les 10 ans à venir et que les potentiels entrants dans le métier, majoritairement non issus du milieu agricole, ont les pires difficultés à acheter ou à louer de la terre, parce qu’ils n’ont ni la carte (bancaire), ni les codes (anthropologiques). Or l’accès au foncier constitue un des premiers freins à l’installation, le disputant au triptyque vocation-formation-rémunération. Les GFAI sont destinés à attirer, de manière « maîtrisée et sécurisée », de nouveaux capitaux pour l’agriculture au bénéfice final des porteurs de projet en manque de ressources financières. Mais ils seront retoqués lors du l’examen du projet en Commission au profit de Groupements fonciers agricoles d’épargne (GFAE), qui ne rassurent ni la FNSafer à Terre de liens qui s’inquiètent du risque de financiarisation inhérent à ce nouvel instrument.

La nouvelle ministre reprend le lambeau

Le projet de loi est adopté à l’Assemblée nationale le 28 mai. Le lendemain, reconnaissant que le foncier était « la brique » qui manquait, le député et ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Travert annonce la création d’une mission parlementaire sur la question foncière. 12 jours après l’adoption, du projet, le président de la République dissout l’Assemblée nationale et avec elle la loi d’orientation. Une nouvelle législature et un nouveau gouvernement plus tard, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard reprend le flambeau, pour ne pas dire le lambeau. Le 21 septembre, lors de la passation, la nouvelle ministre prend fait et cause pour le projet de loi, qu’elle avait votée en mai. « Je veux dire clairement que nous la mènerons rapidement jusqu’à son terme », affirme la ministre pour qui « le rôle de l’Etat est de soutenir ceux qui nourrissent la population, pas de les décourager (…) Notre rôle est aussi d’encourager notre jeunesse à aller vers ces professions qui offrent du sens et des perspectives ».

Certes. Mais quand les subsides de la Pac constituent l’essentiel du revenu courant des exploitants, quand la cession de l’exploitation fait office de fonds de pension pour les néo-retraités, quand les candidats à l’installation ne veulent pas enfiler les bottes des cédants, quand les nouvelles générations ne veulent pas forcément en prendre pour une génération, le défi de « l’attraction terrienne », sur fond de crise politique, relève de la gageure. « On ne va pas se mentir, même si on arrive à faire tout ce boulot, ça restera des métiers passion parce qu’il y a un tel niveau de contraintes. Ce n’est pas vrai que ça correspond à tous les standards d’organisation de la vie, vous êtes des engagés et vous travaillez beaucoup ». Emmanuel Macron, le 9 septembre 2022. Comme un mauvais présage.

Les 12 temps forts de 2024, année erratique :

En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille

En février, au Salon de l'Agriculture, le soulèvement de terriens

En mars, on plante des haies et en octobre, on plante le Pacte

En avril, la France gagne une bataille contre l’Influenza aviaire

En mai, la loi d’orientation agricole adoptée… pour 12 jours