[Rétro 2024] En juin, la bio atteint son plafond de vert

Pour la première fois dans l’histoire de la bio, les surfaces certifiées AB reculent et ramènent le taux de SAU bio à 10,36% en 2023 contre 10,50% en 2022. La faute à la crise inflationniste, à la faiblesse de la commande publique ou encore à la profusion-confusion de labels, alors que les bienfaits comme les vocations ne se démentent pas.

La prédiction de la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) s’est avérée exacte. Le 18 octobre 2023, devant la Commission des affaires économiques du Sénat, son président Philippe Camburet déclare : « 2023 risque d’être l’année du recul de l’agriculture bio en France ». En juin 2024, les chiffres de l’Agence tombent et confirment le pronostic. En 2023, les surfaces certifiées ont reculé de 2% et ramené le taux de SAU bio à 10,36% contre 10,50% en 2022.

La loi du marché fatale à l’aide au maintien

Jusqu’à la mi-2022, l’offre de produits bio avait toujours une longueur de retard sur la demande, ce qui avait pour effet de soutenir et les prix et la dynamique de conversion. A telle enseigne que le gouvernement décide de supprimer l’aide au maintien. Le ministre de l’Agriculture Stéphane Travert en fait l’annonce en septembre 2017 au salon Tech&Bio. Son successeur Julien Denormandie enfonce le clou en présentant en mai 2021 le Plan stratégique national (PSN) préfigurant la Pac 2023-2027, au grand dam de la FNAB.

En prenant cette décision, l’Etat livre alors l’agriculture biologique à la loi du marché. Sauf que les défenseurs de l’AB ont toujours considéré l’aide au maintien comme un moyen de rémunérer les aménités positives de la bio quand le conventionnel ne supporte pas ou très peu les conséquences de ses impacts sur les milieux (fermeture de captages, dépollution, érosion de la biodiversité...). Le fait que l’agriculture conventionnelle peine à vendre des Paiements pour services environnementaux (PSE) ou des crédits carbone aux acteurs privés en dit long sur les limites éco-philanthropiques du marché.

L’offre supérieure à la demande

En 2022, la non-déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine va accentuer une crise inflationniste apparue à la sortie du Covid. Présentée à Tech&Bio 2023, une étude de FranceAgriMer confirmera l’impact de l’inflation, mais aussi du « local » sur le panier des Français, le différentiel écologique de l’AB peinant à convaincre. Un diagnostic que la présidente de l’Agence bio tempère. « Le local, il y a ceux qui en parlent et il y a ceux qui le font. Ceux qui le font, c’est le bio. Il y a 26.000 fermes bio qui vendent leurs produits en direct, c’est un énorme maillage du territoire et c’est plus que tous les points de vente de la grande distribution », affirme Laure Verdeau au salon Tech&Bio 2023.

L’AB ne parvient pas à élargir le spectre de consommateurs consentant à payer un peu plus pour un autre modèle d’agriculture, que la littérature scientifique décrit comme étant plus vertueux que l’agriculture conventionnelle, s’agissant la biodiversité, du climat, de la santé des sols et de la santé humaine. Du côté des candidats à l’installation, les vocations ne se démentent pas. Selon le baromètre du moral des agriculteurs bio réalisé par l’Agence bio, Selon les Régions, entre un quart (24%) et la moitié (48%) des candidats à l’installation souhaitent s’installer en bio.

"A part de marché équivalente, le budget communication de l’Agence bio est 1000 fois inférieur à celui de Lidl"

A la crise inflationniste s’ajoute la profusion-confusion de labels verdoyants, le déréférencement en grande distribution, les défauts de structuration dans certaines filières ou encore la communication lilliputienne. « L’achat de produits bio représentait 6% du budget alimentaire des ménagés français en 2022. La part de marché de Lidl est quant à elle de 6,8%. A part de marché équivalente, le budget communication de l’Agence bio est 1000 fois inférieur à celui de Lidl », dira Christian Renault, spécialiste des politiques agricoles et alimentaires, lors d’une conférence à Tech&Bio 2023.

L’AB n’est pas le seul signe officiel d’identification de la qualité et de l’origine (SIQO) à pâtir des arbitrages des consommateurs. Mais la bio, dont le cahier des charges restreint les facteurs de rendement que sont les produits phytos de synthèse et les engrais minéraux tout en supportant des charges plus conséquentes (mécanisation, main d’œuvre…), est sans doute le SIQO le plus impacté.

L’objectif de 18% en 2027 maintenu

L’Etat se défend de délaisser la filière, évoquant le crédit d’impôt spécifique ou le bonus de l’écorégime. Pour soutenir la trésorerie des exploitants, il injectera en prime 209 millions d’euros au cours des exercices 2023 et 2024, selon le décompte du ministère de l’Agriculture établi en septembre dernier. Il faut dire que les pouvoirs publics réaffirment régulièrement l’objectif, inscrit dans le PSN, d’atteindre 18% de SAU bio à fin 2027. Et c’est encore le cas du Programme ambition bio 2027 présenté au dernier Salon de l’Agriculture. Le PAB 2027 se dote au passage de nouveaux indicateurs de suivi, avec notamment la comptabilisation des surfaces et des cheptels filière par filière. L’aval sera aussi scruté de près avec des indicateurs cernant les préparateurs, distributeurs et restaurateurs. Les trois lieux et/ou moments de consommation, à savoir la consommation à domicile, la restauration collective et la restauration commerciale, seront aussi décryptés.

"Il n’y aurait pas de crise du bio si jamais Egalim était respectée"

Si l’Etat soutient la filière, il est revanche doublement fautif sur l’application, à lui-même, et aux acteurs de la restauration collective, de la loi Egalim. Depuis le 1er janvier 2022, les produits durables (AOC, AOP, IGP, STG, Label Rouge, HVE...) et certifiés en agriculture biologique doivent représenter respectivement 50% et 20% des achats des restaurants collectifs sous gestion publique, conformément à la loi Egalim d’octobre 2018, complétée par la loi Climat et résilience d’août 2021. Depuis le 1er janvier 2024, les restaurants collectifs du secteur privé sont également astreints aux taux de 50% et 20%. Des objectifs non contraignants et loin du compte. Selon le ministère de l’Agriculture, dans les cantines aussi, les produits bio et durables à la diète, avec un taux d’approvisionnement de 12,1% en produits AB en 2023, contre 13,1% en 2022, et 25,3% en produits durables, contre 27,5% un an plus tôt. « Il n’y aurait pas de crise du bio si jamais Egalim était respectée » affirmera le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau au congrès de la FNSEA en mars.

« Pendant 20 ans, on ne s’est occupé que de l’offre, il va falloir désormais s’occuper de la demande et faire en sorte que l’on devienne, en France, les champions de la consommation bio, autant qu’on est les champions de la production européenne de bio », affirme Laure Verdeau. En attendant, à l’heure où la montée en gamme est malmenée par la quête de descente en prix et par la foire aux mentions privées plus ou moins fantaisistes, la bio est victime de décroissance.

Les 12 temps forts de 2024, année erratique :

En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille

En février, au Salon de l’agriculture, le soulèvement de terriens

En mars, on plante des haies et en octobre, on plante le Pacte

En avril, la France gagne une bataille contre l’Influenza aviaire

En mai, la loi d’orientation agricole adoptée… pendant 12 jours

En juin, la bio atteint son plafond de vert