[Rétro 2024] En juillet, la pire moisson depuis 40 ans

Conséquence d’un interminable enchainement d’aléas météorologiques, la production de blé tendre passe sous les 26 millions de tonnes, du jamais vu depuis 1983. Comble de malchance, la récolte mondiale est pléthorique et les cours atones, pendant que le gouvernement, démissionnaire, « chaume ».

Des pluies régulières et continues du semis jusqu’à la récolte (+40% en moyenne en France par rapport aux 20 dernières années), une forte pression des adventices et des maladies, et pour finir, une baisse du rayonnement affectant une grande partie du territoire (-7% en moyenne sur la France par rapport aux 20 dernières années et jusqu’à -15%) : tel est le bilan agro-climatique de la campagne 2023-2024, « l’une des campagnes les plus compliquées à gérer sur une période aussi longue » juge Arvalis. « Ces conditions climatiques ont ainsi fortement affecté le fonctionnement des cultures et donc la production ». Tel est le constat dressé par l’institut technique dès le début du mois de juillet.

Au fil des mois, les statistiques égrenées par le ministère de l’Agriculture ne feront que confirmer le marasme. la dernière estimation, publiée début novembre, établit à 25,5 millions de tonnes la production de blé tendre, en chute de 27,2% par rapport à 2023 et de 26,1% par rapport à la moyenne quinquennale 2019-2023. Il faut remonter à 1983 pour tomber plus bas, avec 24,5 Mt. En 2016, dernier traumatisme en date pour les céréaliers, la récolte était de 26,7Mt et le rendement moyen de 53,8q/ha. En 2024, le rendement moyen s’établit à 61,0q/ha contre 73,7q/ha en 2023, soit une baisse de 17,2%.

Mais la collecte est aussi affectée par la baisse des emblavements, due en partie aux intempéries automnales, la Bretagne, la Normandie et les Hauts-de-France subissant par ailleurs les tempêtes Ciaran et Domingos. La sole de blé tendre tombe ainsi à 4,2Mha contre 4,8Mha en 2023, soit un décrochage de 12,0%. Comme un malheur n’arrive jamais seul, la disette hexagonale intervient sur fond de production quasi pléthorique au plan international, ayant pour effet de plomber les cours. En juillet, le blé tendre passes sous les 220€/t sur Euronext.

Le ministre de l’Agriculture (démissionnaire) Marc Fesneau auprès de céréaliers d’Eure-et-Loir le 29 juillet (Crédit photo : X - FNSEA28)
Le ministre de l’Agriculture (démissionnaire) Marc Fesneau auprès de céréaliers d’Eure-et-Loir le 29 juillet (Crédit photo : X - FNSEA28)

Toutes les cultures ou presque impactées

S’il n’y avait que le blé tendre. En fait, aucune espèce ne va être épargnée, comme en atteste l’évolution des rendements moyens entre 2023 et 2024 : -19,8% pour l’orge (55,3q/ha), -7,8% pour le blé dur (50,8q/ha), -9,3% pour le maïs grain (93,4q/ha), -9,4% pour le sorgho grain (51,0q/ha), -7,4% pour le maïs fourrage (12,8tMS/ha), -8,2% pour le colza (29,2q/ha), -11,1% pour le tournesol (22,3q/ha), -12,4% pour le pois protéagineux (28,8q/ha), -1,5% pour la betterave sucrière (82,0t/ha), -1,8,0% pour les pommes de terre de conservation (42,8t/ha) : tels sont les rendements moyens estimés par le ministère de l’Agriculture en date du 1er août. Seul le soja (25,9q/ha, +5,3%) tire son épingle du jeu. Les éleveurs sont en revanche mieux lotis : la production cumulée des prairies permanentes est supérieure de 31% à la moyenne observée sur la période 1989-2018, la deuxième meilleure performance en 35 ans, après 2007.

Des « affaires courantes » aux « affaires urgentes »

Si le pire sera évité au plan qualitatif, les organisations professionnelles ne manquent évidemment pas d’interpeler les pouvoirs publics. Sauf qu’en pleine moisson, précisément entre le 16 juillet et le 5 septembre, la France doit composer avec un gouvernement démissionnaire, pour cause de dissolution de l’Assemblée nationale, réduit à gérer les « affaires courantes » quand la profession réclame un ministère des « affaires urgentes ».

En déplacement dans une exploitation d’Eure-et-Loir le 29 juillet, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau temporise, renvoyant au « bilan à l’issue des moissons », avant, deux semaines plus tard de donner du grain à moudre et de dégainer des reports sinon la prise en charge de cotisations MSA, le dégrèvement de TFNB, la mobilisation de la DEP versement le cas échéant de l’Indemnité de solidarité nationale dès l’automne ou encore le versement d’avances Pac à compter du 16 octobre.

Deux dispositifs d’aides à la trésorerie

A la mi-novembre, le gouvernement de Michel Barnier annoncera le lancement d’un « dispositif exceptionnel de soutien à la trésorerie » élaboré avec les établissements bancaires, et prenant la forme de prêts bonifiés jusqu’à 50.000€ ou garantis jusqu’à 200.000€. Le dispositif est bien entendu ouvert à tous les exploitants, qu’ils soient céréaliers, éleveurs ou viticulteurs, les deuxièmes étant aux prises à la FCO et à la MHE et les troisièmes à une crise sans précédent.

Pressée par les syndicats qui se remobilisent, avec des arrières pensées électoralistes mais également atterrés par la la valse des Premiers ministres, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard assistera le 12 décembre à la signature d’un premier prêt accordé à un jeune agriculteur de l’Oise.

Une filière d’excellence fragilisée

Les céréaliers ne sont pas à la veille d’oublier cette moisson 2024, qui a enfoncé un coin dans une filière d’excellence qui, en 2023 a généré un solde commercial positif de plus de 7 milliards d’euros, et qui fait de la France le 1er producteur européen de céréales, le 8ème mondial et le 6ème exportateur mondial de blé tendre. Outre l’affaiblissement des exploitations et la fragilisation des marchés export, la piteuse moisson 2024 va enfoncer un peu plus les références historiques de rendement des exploitations, talon d’Achille de l’assurance climatique et indispensable béquille de résilience.

Les 12 temps forts de 2024, année erratique :

En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille

En février, au Salon de l’agriculture, le soulèvement de terriens

En mars, on plante des haies et en octobre, on plante le Pacte

En avril, la France gagne une bataille contre l'Influenza aviaire

En mai, la loi d’orientation agricole adoptée… pendant 12 jours

En juin, la bio atteint son plafond de vert

En juillet, la pire moisson depuis 40 ans