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« Nous paysans » : l’instant de survie
Le documentaire « Nous paysans » retrace un siècle d’agriculture française et donne à voir des générations d’agriculteurs ballotées par des injonctions productivistes, sacrificielles et mortifères. Mais la foi dans le vivant, sous toutes ses formes, porte les germes de la renaissance.
« Pour moi le grand chamboulement qui va concerner notre génération, c’est de remettre la biologie au cœur du système agricole ». Jeune arboriculteur dans le Lot-et-Garonne, Grégory Bordes est l’un des agriculteurs témoignant dans le documentaire de 90 minutes diffusé sur France 2 le 23 février (accessible en replay sur France.tv). En une phrase, et alors que le film, raconté par l’acteur Guillaume Canet, a longuement égrené les mécanismes du passage d’une agriculture sous-vivrière à une agriculture sur-nourricière, et à ses travers environnementaux et sociétaux, Grégory Bordes rallume la lumière. Et il le fait en nous épargnant le contre-modèle un peu facile et caricatural, très bio, très petit et très local pour faire court.
« Cette agriculture de chimie, on souhaite continuer à l’utiliser, mais en la rationalisant, en la liant à la biologie, explique-t-il. Il faut continuer à nourrir des Hommes, mais avant de nourrir les Hommes, pour faire produire nos arbres, il faut que l’on nourrisse les écosystèmes ».
Son père Michel abonde. « C’est incroyable la puissance du vivant, partout, dès qu’il y a de l’énergie, il y a du vivant et le défi pour les jeunes, il est super intéressant, c’est du vivant, partout, partout, partout ».
« Mettre un scaphandre au grand air ? Retournez d’où vous venez »
Le documentaire évite un autre écueil, celui qui aurait consisté à faire le procès un peu facile des générations d’après la seconde guerre mondiale, celles qui ont pris la clé des tracteurs et des « tonneaux » de produits phytosanitaires. Certains étaient déjà éclairés, tel Bernard Ronot, agriculteur en Côte-d’Or, défenseur des blés anciens. « Une technicienne de maison phytosanitaire passe un jour alors que je prépare mes ingrédients pour mettre dans le tonneau et aller désherber, raconte l’agriculteur. Monsieur Ronot, vous êtes inconscient, me dit-elle. Vous manipulez nos produits sans masque, sans gant et sans combinaison. A ce point-là ? je lui réponds. Et bien écoutez, moi qui ai le privilège de faire ce métier de plein air, alors que je connais combien de gens qui travaillent dans des airs confinés, il faut que je m’habille en scaphandre pour faire mon métier ? Alors retournez dire, d’où vous venez, ce qui se passe aux cultures ».
Des jeunes vaillants mais circonspects
Quelques générations plus tard et/ou quelques centaines de kilomètres plus loin, Bernard Ronot a, sans le savoir, fait des émules, tels Géraud Teyssedou dans le Cantal. « Moi je suis parti sur le non travail du sol car on a des sols qui s’enrichissent avec très de peu de chimie », explique-t-il. Dans le Val d’Oise, Emmanuel Delacour se focalise aussi sur les sols. « C’est plus qu’une nécessité de revenir en arrière, de faire attention à la vie du sol, déclare-t-il. C’est quelque chose de vivant le sol, on ne peut pas le maltraiter, ce n’est pas un outil industriel que l’on peut réparer ou changer. Il va nous falloir du temps. C’est l’affaire de tout le monde ».
Plus au sud, dans les Pyrénées-Atlantiques, la bergère Maïna Chassevent souhaite aussi raviver la flamme. « Moi j’aime bien le mode de travailler et de vivre de nos ancêtres, raconte-t-elle. Ils avaient une proximité avec les animaux vachement chouette et avec la terre aussi. On est en train de s’éloigner de ce modèle-là. On est autonome en rien, on est allé loin dans l’industrialisation de l’agriculture, moi j’essaie de repartir de la tradition qui se perd aussi au Pays basque. On s’est éloigné de la base de ce pourquoi on est paysan, le métier de berger est en grande perte de vitesse ».
Si les jeunes agriculteurs ont la foi dans leur capacité à inverser le cours des choses, les doutes subsistent. « On a tous des réponse différentes, témoigne Félix Noblia, éleveur dans les Pyrénées-Atlantiques, récompensé d’un Trophée de l’agroécologie en 2017. L’enjeu pour les agriculteurs, c’est comment se sauver, comment on arrive à exister demain ? ».
Une union nationale sur l’agriculture ?
Le documentaire élude l’équation économique, qu’il s’agisse des soutiens publics à l’agriculture comme de la valorisation et de la rémunération des produits et des matières premières dans les différents circuits de commercialisation. Mais pour Noël Genteur, agriculteur dans l’Aisne, la question financière n’est pas forcément le plus prégnante. « J’aime bien les jeunes qui disent : on va essayer de revenir à la campagne. Ils sont vachement courageux, quand on voit le travail qu’il faut faire pour retransformer la terre, lui redonner vie. Alors, est-ce qu’on met les moyens ? Mais les moyens, c’est pas dire on donne deux milliards, là trois milliards là, c’est pas ça les moyens, c’est toute une culture, toute un imaginaire, une volonté. C’est comme ça qu’on y arrivera. Et puis une participation, il faut que on soit partenaire de la campagne avec la ville et de la ville avec la campagne. Aujourd’hui, on critique tout, les poules en cage, les zoos, c’est pas ça l’avenir. L’avenir c’est de se dire : qu’est-ce qu’on fait ensemble ». Autrement dit : nous tous paysans. Comme il y a 100 ans.