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Moutons dans les vignes, poules sous les pommiers… Vers une reconnexion des cultures et de l’élevage ?
Après avoir été longtemps purement « spécialisées », l’arboriculture, la viticulture et le maraîchage voient certains de leurs producteurs réintroduire un peu d’élevage parmi leurs végétaux. A la clé : gestion de l’enherbement, amélioration de la fertilité du sol et de la biodiversité… Plusieurs études commencent à s’intéresser à nouveau au sujet.
Des moutons dans les vignes, des poules sous les pommiers, des brebis parmi les pruniers, des canards dans les noyers… Après des décennies de spécialisation des exploitations, la grande reconnexion animal-végétal serait-elle en marche ? « Depuis cinq ou six ans, on observe une vraie dynamique de projets associant des cultures végétales spécialisées et des animaux », présente Mélanie Goujon, chargée de mission recherche en agriculture biologique à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, à l’occasion d’une conférence donnée au Sival 2025.
Selon la spécialiste, la dynamique s’observe partout en France, autant dans des zones où ces pratiques perduraient, comme le vitipastoralisme dans le Sud-Est, que dans celles où elles avaient été oubliées. « Ce développement est souvent lié à des approches de type agroécologique », explique-t-elle.
Connaître les pratiques et rassembler des références
La tendance est donc réelle, mais encore loin d’être mesurable, comme c’est souvent le cas pour les pratiques qui échappent aux catégories officielles, et les références techniques sont encore peu nombreuses. Depuis 2024, un projet Casdar (Compte d’affectation spéciale développement agricole et rural du ministère de l’Agriculture) a démarré sur ce sujet, sous le pilotage de la chambre d’agriculture des Pays de la Loire, et, en particulier, de Mélanie Goujon.
Appelé Espere (Elevage et végétal SPEcialisé : des REssources pour une meilleure connexion), il vise à répertorier les ressources existantes, à les rendre plus accessibles et à les illustrer par de nombreux témoignages. « Nous avons démarré ce projet par une grande enquête pour connaître les pratiques et les besoins des producteurs en végétal spécialisé qui introduisent de l’élevage sur leurs exploitations ou qui souhaitent le faire », présente Mélanie Goujon.
Des motivations et des freins
Résultats de cette enquête à laquelle 149 agriculteurs ont répondu : une nette domination des ovins, puisque 48 % des répondants font (ou souhaitent faire) pâturer des moutons dans leurs cultures spécialisées. Ils sont 24 % à le faire avec des volailles, le reste des animaux se partageant entre équins, bovins, caprins et plus rarement porcins. L’arboriculture et la viticulture sont les cultures spécialisées les plus représentées parmi les répondants (respectivement 43 et 42 %). Lorsque la pratique est déjà mise en œuvre, l’atelier animal appartient à l’exploitation dans 63% des cas. La présence des animaux est le fruit d’un partenariat (souvent non formalisé) avec un éleveur extérieur dans plus d’un cas sur trois.
Les motivations pour initier cette pratique sont très variées, mais majoritairement techniques : gérer l’herbe (la motivation la plus fréquente), mais aussi nettoyer le sol après la récolte, améliorer la fertilité et la structure du sol… D’autres motivations peuvent être d’ordre économique, comme consommer moins de carburant ou avoir un atelier complémentaire, environnemental (favoriser la biodiversité), et social (répondre à la demande d’un voisin éleveur, améliorer l’image de la production…).
Les freins exprimés par les répondants sont la difficulté de trouver un partenaire éleveur, surtout dans les régions où il y a peu d’élevage, et l’impact que l’arrivée d’animaux peut avoir sur l'organisation et la charge de travail. Les risques pour la culture, voire pour les animaux, sont également évoqués. Des interrogations et des besoins d'informations sont aussi exprimés sur le volet réglementaire, en particulier pour les porteurs de projet.
Trois projets et quelques enseignements
Même si les ressources techniques sur la reconnexion élevage – végétal spécialisé sont encore limitées, elles ne sont pas inexistantes : ces dernières années, plusieurs projets de recherche se sont consacrés à ce sujet. Dans le cadre du projet Espere, leurs résultats seront capitalisés et regroupés sur la plateforme Geco, un outil collaboratif de partage de ressources sur l’agroécologie. Une trentaine de témoignages devraient enrichir cette base de données qui sera disponible gratuitement d’ici juin prochain.
Durant sa présentation du Sival, Mélanie Goujon a délivré quelques enseignements recueillis dans le cadre de trois projets récents : Brebis Link, Depasse et Viti pasto. Dans les vergers de pommes, l’introduction des animaux permet d’économiser un à deux broyages d’herbe durant l’automne et l’hiver, et même deux à trois broyages dans les noyeraies. En vignes, le premier passage du travail du sol de la saison est retardé, et il est jugé plus facile.
Végétal-animal, gagnant-gagnant
Toujours en vignes, les moutons sont jugés particulièrement pertinents, car ils pâturent sous le rang. La présence d’animaux n’a pas eu d’effet (ni positif ni négatif) sur l’état physique des sols, ni sur le développement de maladies, pas plus que sur les paramètres agronomiques de la vigne. On observe un peu plus de biodiversité dans les vignes pâturées, avec notamment davantage de d’espèces de légumineuses et d’insectes.
En arboriculture, quelques dégâts ont été observés avec des ovins sur des jeunes arbres. Pour les éviter, la bonne pratique consiste à protéger les jeunes plants et à privilégier des chargements importants et des temps courts, de façon que les animaux ne s’intéressent qu’à l’herbe. Certaines zones peuvent être piétinées, notamment celles où les animaux risquent de se concentrer, par exemple, s’il y a abreuvement et affouragement : il faut donc bien en raisonner la localisation. Les poules semblent avoir un effet répulsif sur les mulots.
Du côté des animaux, un point de vigilance est signalé sur le cuivre et les moutons : cet élément est très toxique, il ne faut donc pas faire pâturer juste après les traitements. En dehors de cela, les animaux semblent avoir tout à gagner à gérer l’herbe des cultures végétales spécialisées : le bien-être animal y est assuré, et la nourriture est présente en qualité et quantité. Ainsi les résultats montrent que l’offre fourragère de la culture spécialisée peut représenter jusqu’à 40 % de l’alimentation des brebis sur l’année.