Menace sur l’Agence bio : quand la logique comptable fragilise une filière en difficulté

[Edito] Après trois années de crise, 2025 pourrait marquer un rebond pour la filière bio. Dans le même temps, l’Agence bio est menacée d’extinction, en contradiction avec les objectifs de la France en matière d’agriculture biologique.

« On peut dire que ce gouvernement a le sens du timing et de la cohérence politique. Venir nous expliquer en pleine crise de la bio qu’il faut supprimer l’acteur chargé de promouvoir nos produits, c’est pour le moins osé ». Philippe Camburet, président de la Fédération nationale d’agriculture biologique (Fnab), a en travers de la gorge la récente décision du Sénat de supprimer l’Agence bio, sous couvert d’économies budgétaires. « Economies de bouts de chandelle », dénonce-t-on au sein du secteur, puisqu’il s’agirait d’une annulation des crédits à hauteur de seulement 2,9 millions d’euros.

L'Agence bio, créée en 2001, n'est pas qu'un simple rouage administratif. Elle joue un rôle crucial dans la promotion, la structuration et le développement de l’agriculture biologique. En vingt ans, la France est devenue un leader européen de l'agriculture biologique, avec plus de 61 000 fermes bio, soit 14% des exploitations, 215 000 emplois et 10% des surfaces agricoles françaises en 2023.

Soutenir au lieu d'affaiblir

La filière bio a été marquée par trois années consécutives de crise, avec un recul de la consommation des produits bio, ainsi qu’une baisse historique des surfaces en 2023. Fin 2024, plusieurs indicateurs montraient des légers signes de reprise, avec notamment une hausse de la demande pour le bio et un manque d’offre dans certaines filières comme les œufs et le porc. C’est peu dire que la filière a plutôt besoin de soutien que d’un désaveu. Or, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a qualifié la décision du Sénat de « pertinente », en totale contradiction avec les objectifs de la France d’atteindre 18% de surfaces bio en 2027 et 20% de produits bio dans la restauration collective.

Bien que la ministre ait assuré que les missions de l’Agence bio seraient conservées, les oppositions sont unanimes. La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont dénoncé dans un communiqué « un vote incompréhensible ». Ils dénoncent tant la forme, à savoir le fait qu'il n'y a eu selon eux « aucune consultation préalable », que le fond, évoquant les « grandes difficultés » de l'agriculture biologique. Supprimer l'Agence bio contribuerait à la « déstructuration de la filière », a prévenu quant à elle la Confédération paysanne, estimant que l’Etat devrait s’employer à « mettre en place des politiques publiques réellement favorables à l'accompagnement » des agriculteurs bio.

Inconsistance des gouvernements 

« Depuis 8 ans on nous aura tout fait, on nous met des objectifs de bio en resto’co que personne ne respecte, on supprime l’aide au maintien parce que le marché doit nous rémunérer puis on a recours à des aides d’urgence ad hoc parce que le marché s’est écroulé, on navigue à vue, c’est du grand n’importe quoi », s’agace le président de la Fnab. Il rappelle aussi l’inconsistance des gouvernements sur les questions agricoles, alors que l’ancien ministre Marc Fesneau avait augmenté les enveloppes de communication de l’Agence bio.

L’histoire n’est pas encore écrite, puisque la proposition du Sénat sera discutée prochainement en commission mixte paritaire. Dans une atmosphère de serrage de ceinture, où le gouvernement prévoit un coup de rabot généralisé dans les dépenses de l’Etat, les débats risquent d’être houleux. Plus globalement, le projet de budget pour le ministère de l’Agriculture en 2025 est en baisse de 280 millions d’euros par rapport à 2024. Un coup dur pour le secteur.