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La stigmatisation des contrôles en exploitation, exutoire de tous les maux de la profession
Un rapport interministériel pointe un certain décalage entre le ressenti des agriculteurs et la réalité numérique des contrôles, ainsi que la fréquence et le poids des sanctions. Pas sûr que l’instauration du contrôle unique suffise à conjurer la crise de revenu et de reconnaissance sociale, qui fomente et cimente la colère et le ressentiment à l’égard des contrôles, dont pâtissent les agents de l’Etat.
« Aux termes de ses travaux, la mission constate un écart notable entre le ressenti des exploitants agricoles d’une pression de contrôle élevée assortie d’une sévérité des sanctions et des peines en découlant, et la réalité des contrôles réalisés dans les exploitations agricoles et des sanctions et peines effectivement prononcées. Au cours de ses déplacements et de ses auditions, la mission n’a recueilli que peu d’illustrations concrètes de situations de contrôles excessifs portant sur une même exploitation. Par ailleurs, les données sur les suites tendent à montrer que les exploitants agricoles sont finalement rarement poursuivis hormis dans les cas de fraude, de réitération, de refus de mise en état ou de préjudice économique important ». Tel est le principal enseignement d’un rapport interministériel (*) publié début décembre. Il avait été commandité par le Premier ministre Gabriel Attal le 8 février 2024, alors que le souffle de la contestation de janvier était provisoirement retombé, avant le tourbillon inaugural du Salon de l’Agriculture. Objectif : réviser les procédures de contrôles et les échelles des peines dans l’objectifs de « construire un cadre de confiance » entre le monde agricole et les services en charge des contrôles administratifs et judiciaires, objets de « défiance ».
Peu de contrôles, encore moins de sanction
Si les exploitants sont potentiellement soumis à une grande variété de contrôles, avec pas moins d’une douzaine d’organismes (administrations et opérateurs) à la manœuvre, « le nombre de contrôles apparaît peu élevé au regard du ressenti d’une très forte pression de contrôles », pointe la mission. Ainsi, selon les données collectées auprès des DDT(M), près de 90 % des exploitations ne sont pas contrôlées dans l’année, 10% font l’objet d’un seul contrôle et environ 1% de deux contrôles ou plus. Quelques cas seulement d’exploitants agricoles soumis par l’administration à plusieurs contrôles dans un délai réduit ont été mentionnés à la mission interministérielle. Quoi que non représentatives, « ces situations sont mises en avant par la profession ». Deux types d’exploitants sont plus exposés à la multiplicité des contrôles : les jeunes agriculteurs, en rapport avec les dossiers de DJA ainsi que les exploitants très diversifiés (polyélevage, polyculture, abattoir intégré, atelier de transformation, vente directe) ou en zone relevant l’ICHN.
En ce qui concerne les peines, la mission fait part du même décalage entre réalité et ressenti. S’agissant des infractions environnementales, qui concentrent une bonne part des récriminations pour ne pas dire des stigmatisations de la profession à l’encontre de l’OFB, ce dernier a réalisé entre 2021 et 2023 une moyenne 5951 procédures judiciaires par an, lesquelles ont conduit à 3748 procédures de timbre-amende, pour un total en moyenne de 12.034 faits délictuels et contraventionnels. Parmi ces procédures, 1598 infractions en moyenne concernaient des exploitants agricoles, soit 13,27% du total des infractions relevées. En outre, la mission relève qu’au-delà du seul cas des exploitants agricoles, le taux de poursuites est bien plus faible dans le domaine du droit pénal de l’environnement, soit 31,6%, contre un taux de poursuites tous contentieux confondus de 59% (2022).
De la réalité au ressenti des agriculteurs
La mission a tenté d’expliciter le décalage entre la réalité des contrôles et des sanctions et le ressenti des agriculteurs, « qui s’est fortement accru ces dernières années ». Les contrôles liés à la Pac y figurent en place, non sans lien avec les incidences financières en jeu. La mise en place du système de suivi satellitaire des surfaces en temps réel (3STR) en 2023 ainsi que la notification des anomalies relevées en vue de l’exercice du droit à l'erreur, « donnent aux agriculteurs le sentiment d’être placés sous une surveillance continue et d'être davantage sollicités par l'Administration tout au long de l'été », lit-on dans le rapport.
Le « contrôle du contrôle »
La nouvelle Pac a aussi inauguré le principe de « reperformancne », consistant à aller sur le terrain pour vérifier que les résultats d'un contrôle réalisé à distance (photointerprétation, analyse de couvert par algorithme) sont confirmés par la réalité observée. Autrement dit, un contrôle du contrôle, même si l’objectif est avant tout d’étalonner et de fiabiliser le contrôle à distance. Le rapport pointe par ailleurs le sentiment de « déconnexion » entre l’Administration et la réalité du terrain, aux prises avec les contingences du vivant et les incidences du changement climatique. « La démultiplication des dérogations sollicitées pour demander une adaptation de l’application de la réglementation nourrit le sentiment chez les exploitants que les normes sont élaborées trop loin du terrain par des personnes connaissant peu le monde agricole ». En outre, la difficile maîtrise d’un cadre juridique complexe et en perpétuelle évolution crée « un sentiment d’insécurité lorsqu’est réalisé un contrôle et accroît le risque de non-conformité involontaire ». A cela s’ajoute la dématérialisation des procédures, couplée à une réduction des effectifs des services déconcentrés de l’État, contribuant à « déshumaniser les contrôles ». Est aussi incriminée la posture de certains contrôleurs, donnant le sentiment aux exploitants que le dispositif de contrôle est fait pour les piéger et que la sanction est recherchée au bout du processus, et non la mise en conformité ». De là à ce que les procédures de contrôle fassent office d’exutoire à tous les maux de la profession…
Du mal-être des agriculteurs à celui des agents de l’Etat
Et pourtant, les agents de l’Etat n’en tirent aucune satisfaction bien au contraire, la mission ayant constaté lors de ses déplacements le « mal-être des agents des services de contrôle » et la « perte de sens » de leurs missions. Sans surprise, l’OFB prend cher. « Les violentes critiques portées contre l’Office français de la biodiversité pendant la crise ont profondément affecté ses agents, alors même que la création très rapide de l’établissement public n’a pas permis de prendre en considération leurs besoins de formation, de recrutement et de moyens, décrit le rapport. Ce sont au demeurant l'ensemble des agents des services publics concernés qui sont actuellement fragilisés dans l'exercice de leur métier ».
Vers le contrôle unique
Lorsque Gabriel Attal lance cette mission flash en février, il a en tête la promesse du contrôle unique qu’il a formulée quelques jours plus tôt sur l’emblématique barrage autoroutier de Carbonne (Haute-Garonne). Défait par la dissolution de l’Assemblée nationale le 9 juin, le temps lui aura manqué pour honorer sa promesse. Au cours d’un mandat encore plus expéditif pour cause de censure, son successeur Michel Barnier et sa ministre de l’Agriculture Annie Genevard s’exécuteront, en signant une circulaire au seine même d’une exploitation, sur fond de réactivation de la colère. Charge aux préfets de faire évoluer la coordination départementale des contrôles, jugée insuffisante par la mission interministérielle, en une véritable régulation, moyennant un outil informatique et l’embarquement l’ensemble des administrations chargées des contrôles et leurs opérateurs, y compris les administrations sociales et fiscales. Point positif : la mission relève que « les relations qu’entretient la profession agricole avec les préfets et leurs services demeurent à la fois confiantes, constantes et de qualité ». Pas sûr que cela suffise à conjurer la crise de revenu et de reconnaissance sociale qui fomente la colère et le ressentiment à l’égard des contrôles et des contrôleurs.
A quelques semaines des élections aux Chambres d’agriculture, le rapport préconise un renforcement de leur rôle dans la diffusion et l’explication de la réglementation et des contrôles, afin de « mieux correspondre à leur mission de service public. En particulier, elles devraient renforcer les échanges entre la profession agricole et les agents de contrôle, et contribuer à l’acculturation mutuelle du monde judiciaire et du monde agricole. Ces actions seraient de nature à rétablir la confiance entre l’ensemble des acteurs concernés ». A bon entendeur…
(*) Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux, Inspection générale de l’Administration, Inspection générale de l’environnement et du développement durable, Inspection générale de la justice