La mort du Bœuf éthique ou le couloir sans retour

[Edito] L’entreprise d’abattage mobile a été placée en redressement judiciaire. Un bien triste signal pour tous ceux qui ne s’accommodent pas d’un modèle écrasant, même si le Bœuf éthique (et symbolique) n’a pas poussé son dernier meuglement.

Imaginée, portée, créée et présidée par Emilie Jeannin, la société Le Bœuf éthique a été placée en redressement judiciaire à la fin du mois de novembre, soit exactement quinze mois après avoir procédé à son premier abattage à la ferme, en l’occurrence celle d’Emilie Jeannin et de son frère, éleveurs de vaches charolaises en Côte-d’Or. Le coup est rude pour cette acharnée, et ses nombreux soutiens, qui ne se satisfont pas du sort réservé aux animaux entre le dernier couloir de contention à la ferme et le couloir de la mort à l’abattoir. Transporter des carcasses en lieu et place des animaux, au bien-être préservé jusque dans leurs derniers instants : tel est le credo de l’abattage mobile. Zéro transport donc, mais pas seulement : zéro transit en centre de collecte, pas de mélange, pas de rupture de groupe social, pas d’attente, pas de manipulations intempestives, pas d’oppression, pas de stress, des bruits et des odeurs familiers de l’animal, la transparence totale, une marche arrière possible jusqu’au dernier moment. Difficile de faire mieux pour le bien-être ultime des bovins.

Ni lubie, ni utopie

Si l’expérience a tourné court, elle ne relevait ni d’une lubie, ni d’une utopie, pour au moins deux raisons. La première, c’est que l’éleveuse a reproduit avec son camion d’abattage mobile un cas expérimenté avec succès en Suède, qu’elle a découvert lors d’un voyage initiatique en 2016. Une autre voie était donc possible. La seconde, c’est que les pouvoirs publics ont donné leur caution à ce modèle alternatif, en participant au financement du projet et en mobilisant les services vétérinaires requis au quotidien. L’engagement de l’Etat s’était aussi formalisé auparavant à travers la loi Egalim d’octobre 2018, ouvrant la voie à l’expérimentation de l’abattage mobile. Depuis, une bonne vingtaine de projets a essaimé sur tout le territoire. Mais on en est encore au stade de la gestation.

Un double combat à moitié gagné

L’avenir dira si ces projets, qui reposent sur des caissons mobiles, moins onéreux que le camion abattoir, et sur la vente directe par les éleveurs, quand Le Bœuf éthique achetait les animaux et revendait la viande, entrouvre finalement la voie à un système alternatif. Si la preuve a été faite qu’il était possible de traiter les animaux autrement, si le combat du bien-être a été gagné, celui du modèle économique a failli. C’est d’autant plus dommageable que Le Bœuf éthique rémunérait les éleveurs sur la base des coûts de production. Mais il ne faut pas se bercer d’illusions : en plus d’être symbolique, ce modèle alternatif n’est que tout relatif. Caissons ou camions mobiles, il faut dans tous les cas un abattoir sinon un atelier de découpe pour parachever le travail. Et à l’heure où la décapitalisation du cheptel bovin va immanquablement fragiliser les outils, ce n’est pas seulement le Bœuf éthique mais l’élevage dans son ensemble qui risque de saigner dans les années à venir... en pleurant ses abattoirs. Un (tout petit) motif d’espérer ? Selon Emilie Jeannin, plusieurs repreneurs sont sur les rangs.