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L’acétamipride, l’arme qui cache la nuée d’insectes stériles
[Edito] Le Sénat a entériné la réintroduction dérogatoire du néonicotinoïde tout en ouvrant par ailleurs la voie à la Technique de l’insecte stérile, une méthode de biocontrôle ciblant plusieurs espèces de mouches très préjudiciables à de nombreuses espèces fruitières. Pas assez clivant et trop écologique pour être médiatique ?
A une large majorité, le Sénat a adopté cette semaine une proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », censée apporter des « remèdes urgents » et des « réponses concrètes dans les cours de ferme » et mettre fin aux « surtranspositions et surrèglementations » franco-françaises. Le texte, sur lequel les députés vont désormais se prononcer, réservait une large part aux infrastructures et moyens de production, avec notamment la simplification et la sécurisation réglementaires des projets de bâtiments d’élevage et de réserves d’eau, la création d’une nouvelle classe de zones humides jugées « non fonctionnelles » et donc moins intouchables et enfin des assouplissements en matière de produits phytosanitaires, avec la fin de la séparation de la vente et du conseil, le coup de grâce porté au Conseil stratégique phytosanitaire, le recours dérogatoire et sous condition à la pulvérisation par drone ou encore le retour en grâce et en cuve de l’acétamipride.
Un cas emblématique de surtransposition
L’insecticide, de la famille des néonicotinoïdes, était réclamé par de nombreuses filières, dont la betterave sucrière et plus encore la noisette, en situation d’impasse, sur fond de distorsion de concurrence à l’intérieur même de l’UE. Difficile, dans ces conditions, de réclamer des clauses de sauvegarde comme la France et/ou l’UE ont pu le faire pour le thiaclopride ou encore le phosmet, proscrits en Europe.
En mai 2024, tout en soulignant la nécessité de recueillir des données complémentaires sur sa neurotoxicité et en recommandant de diviser par cinq les doses journalières admissibles et d’abaisser le seuil de LMR pour une quarantaine de produit agricoles, dont de nombreux fruits et légumes, l’EFSA validait le maintien de l’autorisation de l’insecticide au niveau européen jusqu’en 2033. La substance avait disparu du catalogue français en 2020, après deux campagnes dérogatoires et l’entrée en vigueur en septembre 2018 de la loi d’août 2016 sur la reconquête de la biodiversité, bannissant les néonicotinoïdes du territoire national.
Un « avis de sagesse » après une réécriture expresse
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics, écartelés entre leurs hémisphères agricoles et écologiques, esquivaient un sujet réactivé par la crise agricole. C’est au détour d’une pause, lors de l’examen du texte en séance le 27 janvier au soir, que l’amendement sénatorial a été réécrit et a obtenu le blanc-seing gouvernemental sous la forme d’un « avis de sagesse », la ministre de l’Agriculture ayant préalablement soulevé un risque constitutionnel dans le texte originel. C’est ainsi que les sénateurs ont ouvert la possibilité d’autoriser par décret, à titre exceptionnel, et pour une durée limitée dans le temps, l’usage de l’acétamipride, au motif que la substance est autorisée dans l’UE, que les alternatives sont inexistantes ou manifestement insuffisantes et qu’il existe un plan de recherche sur les alternatives. Les sénateurs ont ainsi redonné de l’air aux filières légumières et fruitières, pas vraiment à la pointe de la souveraineté alimentaire.
Ni « bzzz » ni buzz pour la technique écologique de l’insecte stérile
A propos d’alternatives, le Sénat a aussi introduit dans le droit national la possibilité de recourir, à la suite d’une évaluation scientifique, à la Technique de l’insecte stérile (TIS), consistant à inonder les populations sauvages d’insectes au moyen de mâles stériles produits en laboratoire, afin d’empêcher que les femelles qui s’accouplent avec eux ne produisent de descendance. Selon l’Inrae, la TIS a fait ses preuves depuis de nombreuses années dans de nombreux pays, parfois jusqu’à l’éradication, pour lutter contre des ravageurs très préjudiciables que sont la drosophile à ailes tachetées, la mouche méditerranéenne des fruits, la mouche de l’olive ou encore la mouche orientale, cette dernière menaçant désormais le pourtour méditerranéen à la faveur du changement climatique. La TIS, c’est efficace, à large spectre et écologique. Mais ni « bzzz » ni buzz : c’est l’acétamipride qui a ramassé la mise médiatique, pour ne pas dire la vindicte.