En sursis, l’herbicide flufénacet et son métabolite TFA largement présents dans l’eau de boisson

Une enquête de l’UFC-Que choisir et de Générations futures révèle que l’agent chimique TFA, de la famille des « polluants éternels » PFAS, classé perturbateur endocrinien, est présent dans l’eau potable de 24 communes sur 30 analysées et qu’il dépasse les futures normes en la matière dans 20 communes. Le retrait de la molécule, programmé le 15 juin prochain au sein de l’UE, va compliquer le désherbage des céréales à paille.

A partir de prélèvements effectués entre juin et novembre 2024, l’UFC-Que choisir et l’association Générations futures ont analysé la qualité de l’eau du robinet délivrée par 30 communes de France, dont de grandes métropoles (Paris, Toulouse, Rouen…) mais également des villes moyennes et des villages. Les analyses ont porté sur 33 substances de la famille des perfluoroalkylés et des polyfluoroalkylées (PFAS), une famille de produits qui totalise plusieurs milliers de substances, présents dans de nombreux produits manufacturés, dont certains pesticides.

En-deçà des futures normes françaises tous PFAS confondus

En France, il n’existe pas actuellement de seuil réglementaire fixant une limite à la présence de PFAS dans l’eau de boisson. D’ici à 2026, conformément à la directive la directive européenne 2020/2184 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, la future norme française fixera à 100ng/l la concentration cumulée de 20 PFAS réglementés.

Les analyses effectuées par l’UFC-Que choisir et de Générations futures sont conformes à ce futur seuil réglementaire. Mais les deux institutions attirent l’attention sur le fait que 20% des prélèvements ne sont pas conformes à la norme en vigueur aux Etats-Unis (4 ng/l pour la somme de 2 PFAS) et 50% à la future norme du Danemark (2 ng/l pour la somme de 4 PFAS), justifiant selon elles « des normes plus strictes et protectrices basées sur des données scientifiques récentes ».

Au-dessus du seuil des métabolites de pesticides « pertinents »

L’enquête de l’UFC-Que choisir et de Générations futures s’est attachée à un PFAS en particulier, l'acide trifluoroacétique (TFA), un métabolite issu de la dégradation du flufénacet, un herbicide anti-graminées présent de dans nombreux programmes de désherbage de pré-levée des céréales à paille. Pas plus de norme PFAS pour cette substance exclue des 20 PFAS prioritaires décrétés par l’Union européenne, mais les pesticides sont néanmoins régis par des seuils propres, à savoir soit 0,1 microgramme par litre (0,1µg/l) par métabolite « pertinent ».

Selon l’enquête de l’UFC-Que choisir et de Générations futures, deux prélèvements sur trois dépassent ce seuil et ne sont donc pas conformes à la réglementation en vigueur. Sauf que le TFA n’est pas reconnu comme métabolite pertinent par l’Anses, ce qui lui permet de passer au travers des mailles du filet. La situation pourrait cependant évoluer. En effet, en septembre 2024, le flufénacet a été classé perturbateur endocrinien par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), ce qui devrait conduire l’Anses à requalifier le TFA, qui serait alors soumis au seuil de 0,1µg/l et être inclus dans la liste des molécules recherchées lors des contrôles sanitaires. C’est en tout cas ce que demandent l’UFC-Que choisir et Générations futures.

La molécule retirée, pas ses impacts

C’est ce même classement comme perturbateur endocrinien qui explique la décision de le Commission européenne de ne pas renouveler l’AMM du flufénacet expirant le 15 juin prochain, décision entérinée en décembre dernier par les Etats membres de l’UE. Le retrait du marché flufénacet n’éliminera pas pour autant le risque de contamination des eaux. En effet, les substances de la famille des PFAS sont caractérisés par la stabilité de leur liaison carbone-fluor, qui les rend quasiment indégradables dans l’environnement, ce qui leur vaut le titre de « polluants éternels ». Bien que les effets de PFAS sur la santé humaine restent encore largement à documenter, ces substance sont soupçonnées d’être cancérogènes, perturbateurs endocriniens, de favoriser l’obésité et le diabète, d’affecter la fertilité ou le développement du fœtus.

Résultats d’efficacité sur ray-grass de stratégies sans flufénacet sur 6 essais blé dur entre 2020 et 2024 (Source : Arvalis)
Résultats d’efficacité sur ray-grass de stratégies sans flufénacet sur 6 essais blé dur entre 2020 et 2024 (Source : Arvalis)

Une carte en moins pour désherber les céréales

En revanche, le retrait du flufénacet va compliquer le désherbage des céréales à paille. Selon Arvalis, la molécule est la première substance anti-graminées utilisée en surface. Les alternatives reposent sur le prosulfocarbe, le chlortoluron, la pendiméthaline et le triallate, et de quelques substances complémentaires telles que le DFF et le bétflubutamide, sachant que plusieurs d’entre elles, comme le prosulfocarbe et la pendiméthaline, sont elles aussi sur la sellette. Quant au triallate, toujours homologué au niveau européen, il a perdu son AMM en France en attendant l’homologation de nouveaux produits. Selon Arvalis, « le désherbage risque d’être compliqué dans les situations d’enherbement important », justifiant plus que jamais « la remobilisation des leviers agronomiques pour aider la chimie à fonctionner », citant la rotation, le travail du sol et le retardement de la date de semis. « Il va cependant falloir les mobiliser sur le long terme, et surtout les combiner entre eux pour stopper les salissement des parcelles », prévient l’institut technique.