Déluge agricole : les vaches nagent et les champs se noient

"Tant va la cruche à l'eau, qu'à la fin elle se casse". Après le printemps le plus pluvieux depuis des décennies, l'agriculture fait également face à un mois de septembre aux pluviométries record. Comme si ça ne suffisait pas, la dépression Kirk et les précipitations extrêmes d'hier ont noyé les champs, anéanti les espoirs de bons rendements et sapé le moral des agriculteurs, qui pourraient à nouveau sortir les tracteurs dans les rues.

À la surface du torrent impétueux qui balaye la commune de Chambon-sur-Lignon, placée en vigilance rouge, un témoin filme une vache épouvantée qui tente désespérément de maintenir sa tête hors de l’eau. Ce n’est pas la seule, 5 autres vaches subiront également le même sort, sur ce petit bout de territoire, happées par les flots.

Après la récolte de blé tendre, la pire jamais enregistrée depuis 40 ans (26,3 millions de tonnes contre 35 en 2023), c’est encore contre la pluie que les agriculteurs doivent se battre. Jeudi 17 octobre, 6 départements étaient placés sous vigilance rouge : l’Ardèche, la Loire, la Haute-Loire, le Rhône, la Lozère et les Alpes-Maritimes et 33 départements en alerte orange. Ce vendredi matin, plus d’alerte rouge mais 10 départements sont toujours maintenus en alerte orange. La semaine dernière, les agriculteurs devaient déjà panser les plaies de la dépression Kirk qui a balayé la France mercredi 9 octobre, entraînant avec elle de fortes précipitations : 55 mm de cumul de pluie. 

Les agriculteurs ont la tête sous l’eau ! 

Les conséquences de cette pluviométrie exceptionnelle ont été qualifiées par la ministre de la Transition écologique de situation “inédite par son ampleur”, lors de son point presse, “600 millimètres d’eau sur l’Ardèche, du jamais vu de mémoire d'homme !”. 

Écoles et transports fermés, évacuations… On imagine les conséquences sur les agriculteurs… Fermes et champs inondés, animaux emportés, matériels endommagés… travail à l'arrêt, suspendu aux conditions météo. Le bilan est calamiteux ! Après la récolte de blé tendre, les espoirs étaient portés sur celle du maïs ensilage qui démarrait plutôt bien. Mais les excès de pluviométrie sur des sols déjà saturés suscitent de vives inquiétudes quant à la qualité du grain et l’accès des agriculteurs à leurs champs détrempés et boueux.
Décidément, 2024 restera dans les annales comme une année noire marquée par un printemps le plus pluvieux depuis 2008, avec une anomalie de + 45 % en précipitations par rapport aux normales. Les tournesols en Vendée ont été couchés par le vent, le maïs grain a pris du retard et des coûts élevés de sécheresse sont à prévoir. le sarrasin, lui, dans certains territoires, s’est tout simplement noyé. Humidité et eaux stagnantes sont aussi le cocktail parfait pour le développement des champignons et des maladies. Le mildiou est ainsi revenu en force au grand dam des viticulteurs. 

Le processus de catastrophe naturelle prochainement actionné

Depuis le 16 octobre, 4,32 milliards d’euros sont en cours de versements aux agriculteurs pour l’avance des aides directes et de l’ICHN (indemnités de handicap naturel). Le taux d’avance est à 70 % pour les aides du 1er pilier et à 85 % de l’ICHN. Une petite éclaircie dans la tempête avant les pluies d’hier. Le Premier ministre Michel Barnier a annoncé avec le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qu'ils déclencheront , le processus de catastrophe naturelle “pour que l'indemnisation puisse être mise en œuvre pour les personnes touchées”. Il appelle également à prévenir des conséquences du réchauffement climatique plutôt que guérir. 

Les agriculteurs ne veulent pas tomber dans le panneau 

Les tensions montent et plusieurs acteurs du monde agricole mettent en garde : la colère pourrait quitter son nid. Depuis plusieurs jours déjà, on assiste à nouveau au retournement des panneaux d’entrée et de sorties d’agglomérations qui illustre l’expression “on marche sur la tête”. Désormais, ils sont tout simplement enlevés ou échangés avec d’autres villes. Entre les épizooties, le vaccin FCO-8 qui n’est pas pris en charge par le gouvernement, les récoltes en berne, il n’est pas certain que la priorité du gouvernement, au lendemain des intempéries, “accordée au rétablissement du trafic routier et ferroviaire entre Saint-Etienne et Lyon” apaise les angoisses des agriculteurs. De plus, ni le calendrier des aides ni les conditions pour les toucher ne sont pour l’instant précisés. Les agriculteurs attendent beaucoup de la ministre de l’Agriculture qui fait ses premiers pas dans ce domaine en crise et embourbé. L’État doit s’engager rapidement “sinon les agriculteurs pourraient à nouveau se retrouver dans la rue avertit Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA.

Malgré les défis rencontrés, la récolte de maïs français en 2024 pourrait atteindre 14,4 millions de tonnes, grâce à une augmentation des surfaces cultivées. Les rendements devraient se situer dans la moyenne quinquennale, mais des risques de qualité subsistent en raison de récoltes tardives. Toutefois, la filière pourrait bénéficier des difficultés rencontrées par certains pays de l'Est. Un soutien accru aux agriculteurs semble essentiel pour assurer leur compétitivité et les aider à garder la tête hors de l’eau.