« Dans le Sud-Ouest, on est capable de produire du maïs à 0,6 IFT et on va importer du maïs OGM traité à l’atrazine et au glyphosate ? »

[Reportage] Maïsiculteur à Oursbelille (Hautes-Pyrénées), Jean-Marc Vergez ne comprend pas la danse du ventre de l’UE à l’égard du Mercosur, lui qui produit du maïs à 0,6 IFT sans OGM et sans glyphosate mais entouré de miscanthus, le tout arrosé au compte-gouttes, bien qu’assis sur une nappe « inépuisable ».

« Si vous voyiez ce qui rentre au port à Bordeaux, comme dans tous les ports ». Oursbelille-Bordeaux, de la Bigorre à la Gironde, c’est un peu moins de quatre heures en camion. Jean-Marc Vergez connait la route par cœur : il la pratique depuis plus de 20 ans pour acheminer du maïs depuis son exploitation vers le terminal portuaire de Bordeaux. Exploitant avec son fils Théo un peu plus de 400 ha, principalement du maïs mais également du miscanthus, on y reviendra, l’agriculteur est aussi transporteur et prestataire en séchage-stockage pour le compte de plusieurs organismes stockeurs du Sud-Ouest. « Le transport, ça m’a fait découvrir beaucoup de choses », poursuit-il, évoquant les certifications et audit spécifiques, et ces fameux maïs OGM qui rentrent à « deux euros de moins ».

Pour protéger la ressource, le maïsiculteur détoure ses parcelles avec du miscanthus sinon des bandes enherbées de 20 mètres
Pour protéger la ressource, le maïsiculteur détoure ses parcelles avec du miscanthus sinon des bandes enherbées de 20 mètres

« Tous produits phytos confondus, sur mon exploitation, je suis en moyenne à 0,6 IFT sur le maïs »

Inutile de préciser que la perspective d’importer sans droits de douane 1 million de tonnes supplémentaire de maïs en provenance des pays du Mercosur (à 95% OGM), comme le prévoit le projet d’accord commercial négocié par l’UE, n’est pas de nature à rassurer le maïsiculteur.

Désignant un tas de maïs : « Voyez ce maïs-là, il est évidement non OGM mais en plus, il a reçu zéro glyphosate. Tous produits phytos confondus, sur mon exploitation, je suis en moyenne à 0,6 IFT sur le maïs ».

S’il n’y avait que le glyphosate. Selon l’AGPM, 77,5% des substances actives autorisées pour les producteurs du Mercosur qui exportent leur maïs vers l’UE sont interdites en France. Parmi elles, l’atrazine, interdite depuis 2003 en France et depuis 2007 au niveau européen. « Moi je produis du maïs à 0,6 IFT et on va rentrer du maïs traité à l’atrazine ? ». Disons que l’on risque d’en rentrer davantage, l’UE important déjà entre 6 et 7 millions de tonnes de maïs par an, pour ne parler que de l’origine Brésil.

L’agriculteur produit du maïs répondant à la charte qualité « Maïs Classe A », donnant tous les gages de traçabilité, de qualité physique et sanitaire, et engageant chacun des producteurs dans une démarche de durabilité sociétale et environnementale
L’agriculteur produit du maïs répondant à la charte qualité « Maïs Classe A », donnant tous les gages de traçabilité, de qualité physique et sanitaire, et engageant chacun des producteurs dans une démarche de durabilité sociétale et environnementale

On imagine les maïsiculteurs brésiliens pas davantage embarrassés par les Zones de non traitement (ZNT), une réglementation un tant soit peu zélée de la France au sein de l’UE, comme le reconnaissait l’ex-ministre de l’agriculture Marc Fesneau en mai 2023. « La réglementation relative aux conditions d’utilisation des produits phytosanitaires, je pense aux diverses chartes et aux ZNT, est plus contraignante en France que dans la plupart des autres pays européens », avait-il affirmé à l’occasion d’une discussion à l’Assemblée nationale sur une proposition de résolution visant à lutter contre les surtranspositions.

Selon l’AGPM, 77,5% des substances actives autorisées pour les producteurs du Mercosur qui exportent leur maïs vers l’UE sont interdites en France
Selon l’AGPM, 77,5% des substances actives autorisées pour les producteurs du Mercosur qui exportent leur maïs vers l’UE sont interdites en France

Pour respecter la réglementation franco-française, Jean-Marc Vergez a fait appel à une espèce bas-intrants. « Là où c’était possible, j’ai implanté du miscanthus par bandes de 20 mètres le long des cours d’eau, pour un total de 6ha. Ailleurs, j’ai semé des bandes enherbées ». Le miscanthus est vendu en paille… pour une paille. Mais le tout lui permet de cocher une ou deux cases sur la déclaration Pac. « On va quand même passer un mois et demi à l’épareuse pour entretenir les bandes enherbées », précise l’agriculteur, à l’exploitation très morcelée.

Jean-Marc Vergez : « Voyez ce maïs-là, il est évidement non OGM mais en plus, il a reçu zéro glyphosate. Tous produits phytos confondus, sur mon exploitation, je suis en moyenne à 0,6 IFT sur le maïs »
Jean-Marc Vergez : « Voyez ce maïs-là, il est évidement non OGM mais en plus, il a reçu zéro glyphosate. Tous produits phytos confondus, sur mon exploitation, je suis en moyenne à 0,6 IFT sur le maïs »

Précisons que celle-ci est située au cœur d’un périmètre de protection de captage d’eau potable classé prioritaire, justifiant une attention particulière au plan qualitatif. En ce qui concerne la gestion quantitative, l’irrigant déploie tout ce que l’agronomie et la technologie offrent pour piloter et optimiser l’usage de la ressource.

« En 2024, on n’est pas capable de mesurer le débit d’une rivière »

Ce qui ne suffit pas toujours à éviter les tensions et les restrictions. « C’est le niveau de l’eau au niveau de la digue d’Aire-sur-Adour, un indicateur totalement empirique qui régit les prélèvements sur tout le bassin versant de l’Adour. En 2024, on n’est pas capable de mesurer le débit d’une rivière ».

Compteurs connectés contre gestion collective déconnectée

L’irrigant aux compteurs connectés dénonce une gestion déconnectée de la réalité. « En 2022, année de sécheresse, la nappe, dont la profondeur oscille entre 10 et 50 mètres, elle a bougé de 20 centimètres. Le 30 août, on a cessé d’irriguer et le 10 septembre, la nappe était revenue à son niveau sans qu’une goutte ne tombe au pied des Pyrénées ». Même l’ex-Première ministre Elizabeth Borne, de passage sur l’exploitation en octobre dernier, s’est émue du mode de gestion de l’eau.

L’exploitation est située au cœur d’un périmètre de protection de captage d’eau potable classé prioritaire, justifiant une attention particulière au plan qualitatif
L’exploitation est située au cœur d’un périmètre de protection de captage d’eau potable classé prioritaire, justifiant une attention particulière au plan qualitatif

Aux alentours d’Oursbelille et alentours, les agriculteurs portent des projets de construction de retenues collinaires pour faire baisser les tensions et satisfaire tous les usages et tous les usagers. « Les projets remontent aux années 1980, précise l’exploitant, qui s’est installé en 1993 et dont le père espérait qu’il en bénéficierait. En vain. « On est un groupe de 6 ou 7 agriculteurs avec tous au moins un enfant qui poursuit l’activité. J’espère que ces jeunes qui ont entre 20 et 30 ans ne diront pas la même chose dans 30 ans ».

Conduit sur tuteur maïs ou comme ici, sur filet, le haricot Tarbais, IGP et Label rouge, est une culture emblématique de la région
Conduit sur tuteur maïs ou comme ici, sur filet, le haricot Tarbais, IGP et Label rouge, est une culture emblématique de la région

« Le tournesol, cet automne, certains l’ont broyé sur pied »

Dans ce coin de Bigorre, ce n’est pas le lézard ocellé ou la pie-grièche qui font barrage mais la moule perlière. « Pas la moule elle-même, les traces de vie de la moule. C’est ce genre de prétexte que défendent les "antitout" pour faire capoter les projets. Et ça marche », fulmine l’irrigant. Dans la région, le maïs est l’espèce la mieux adaptée au contexte pédoclimatique local. « Le tournesol, cet automne, certains l’ont broyé sur pied ».