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« Avec les prix actuels du lait et de la viande, on tient une petite revanche »
Même si les coûts de production sont à l’avenant, Frédéric et Fabien Hance savourent l’instant, quand bien même il ne serait qu’une parenthèse dans la (trop) longue histoire d’un rapport de faiblesse avec l’aval. Mais du côté de l’ouest vosgien, on ne s’enflamme pas. A l’inverse du climat.
A quoi rêve un industriel du lait ? A se noyer dans un tank-océan de lait. A quoi rêve un industriel de la viande ? A se perdre dans une forêt de carcasses. A quoi rêve un éleveur ? « A retrouver de l’attention et de la considération », répond Fabien Hance. « Et des justes prix, abonde son frère Frédéric. Car à l’heure qu’il est, on est simplement au juste prix, si l’on considère le travail que ça représente et la qualité que l’on produit ».
N’empêche. En cette année 2022, marquée par la hausse spectaculaire des cours des produits agricoles, sur fond de guerre en Ukraine, Fabien et Frédéric Hance restent un peu étonnés par la tournure des évènements. « A 450 euros le prix de base des 1000 litres, on est au prix du Comté à une certaine époque », s’ébahit Fabien.
A Liffol-le-Grand (Vosges), le Gaec Hance Saint-Vincent élève bon an mal an 75 vaches laitières de race Simmental mais il lui manque 150 km pour faire partie de la zone AOP Comté et bénéficier de son dispositif de régulation de l’offre, qui fait tant rêver la France laitière. « Je ne sais pas si on va récupérer de la maîtrise mais on tient un peu notre revanche sur les entreprises du lait et de la viande, qui ont eu un peu tendance à nous traiter par le mépris », rumine l’éleveur. En contrat avec Savencia à Illoud (Haute-Marne), le Gaec ne s’estime pas le plus mal loti, « même s’il n’y a plus personne sur le terrain ».
L’éleveur jette un œil sur le tableau de bord que lui procure son robot. Les indicateurs sont plutôt bons, avec une moyenne hebdomadaire en ce début du mois d’août à 32 kilos pour le Gaec quand le Lely Center de Nancy (Meurthe-et-Moselle) affiche 29,3 kilos. « Les laiteries disent qu’il faut produire du lait l’été mais ça ne se fait pas en claquant des doigts, lance Frédéric. C’est comme le marchand de bestiaux, qui réclame des animaux, mais pour faire un taurillon, il faut une vache, l’inséminer, faire naître le veau et le nourrir. Si vous avez la vache, vous n’aurez la viande que dans trois ans. On dirait que les entreprises découvrent la démographie déclinante des producteurs de lait et de viande ». Et accessoirement la zootechnie.
Pour ce qui est de la viande, elle est passé de 3,20 € le kilo à près de 5 €. « Quand je pense à la misère pour avoir 20 centimes auprès d’un Leclerc du coin, sur une seule bête, sans aucun contrat de fourniture sur la durée, tout ça pour avoir la photo de l’élevage. La photo, il ne l’ont jamais eue », s’envenime Fabien. Si la conjoncture inverse un tant soit peu le rapport de force entre les producteurs et l’aval, elle ne garantit pas automatiquement la rentabilité des ateliers, qu’il s’agisse du lait, de la viande ou encore des céréales et oléagineux que le Gaec produit sur environ la moitié des 275 ha de SAU.
Car les éleveurs passent aussi à la caisse. « On va faire plus de chiffre d’affaires mais on ne va pas gagner plus », devise Frédéric. « On va payer davantage d’impôts et de MSA et l’excédent de trésorerie, ça va servir à payer les intrants mais qui sait à combien on va vendre le lait dans les mois à venir et les céréales l’année prochaine ? », renchérit Fabien. « D’un prix du lait au trimestre, on est passé au mois. Je pense que l’on est proche du plafond ».
Chance : le Gaec s’était couvert avant le déclenchement de la guerre à bon prix en soja et en engrais, avec des reliquats précieux pour les mois à venir. Mais c’est peut-être moins la chance que la résultante d’une performance globale d’exploitation, qui libère des marges de manœuvre et une certaine prise, relative, sur les cours des matières premières et le cours de l’Histoire. On n’occulte pas la boulimie de travail : 2 UTH et le renfort de Baptiste, le fils ainé de Fabien, qui va rentrer en BTS Acse à Mirecourt (Vosges), omniprésent les week-end et pendant les vacances.
Sur une SAU de 275 ha dont la moitié en céréales et oléagineux, Frédéric et Fabien Hance élèvent un cheptel d’environ 320 bêtes de race Simmental, une race mixte qu’ils vénèrent pour ses qualités laitières et bouchères. Ils ont hérité de leurs parents cette dévotion pour la Simmental et qui leur vaut régulièrement des distinctions comme cette année au Salon de l’agriculture à Paris. Un taureau par-ci, une transplantation embryonnaire par-là : la sélection met aussi du beurre sous les hangars.
Le Gaec projette du reste de construire un bâtiment destiné à renforcer les capacités de stockage de fourrage. En cette année de sécheresse, si le Gaec tire ses marrons du feu caniculaire (en fait surtout du foin et des ensilages), c’est parce qu’il avait engrangé des stocks conséquents en 2021, année aux antipodes de 2022. « D’habitude, on entame le silo d’herbe de l’année au 1er janvier de l’année suivante, mais là on l’a déjà attaqué ». Poursuivant la visite : « Voyez cette vache, elle n’a que trois quartiers, elle était lente au robot. On lui a fait adopter un veau et c’est parti pour un taurillon », s’enthousiasment les deux frères. Intarissables .